mardi 25 mai 2010

A little walk around taxidermia (4) : ils sont partout.

Parce que les empailleurs vous attendent parfois là où vous n'y pensez pas, je clôturerai ce chapitre animalier par quelques satellites gravitant autour de la planète Taxidermie.

La crypto-taxidermie

Appelée "rogue-taxidermy" par les anglo-saxons, la crypto-taxidermie est l'art de la chimère, une sorte de cadavre-exquis en trois dimensions (et ce au sens littéral comme au sens littéraire).
Ces extrémistes de l'empaillage passent donc à mes yeux du rang de demi-fêlés à celui de Grand Ordonnateur de la nawak-art-attitude. Et cela devient parfois vraiment savoureux à ce stade là.

La crypto-taxidermie consiste donc à créer des animaux imaginaires en assemblant des bouts d'animaux existants et/ou en y ajoutant des attributs artificiels. Les artéfacts peuvent être mis en place de manière à représenter une créature mythique (dragons, griffons, licorne), recréer une espèce disparue (le dodo), ou provenir entièrement de l'imagination tordue du taxidermiste. Plusieurs de ces créateurs de l'étrange se sont regroupés au sein d'une association américaine, la M.A.R.T. (Minessota Association of Rogue Taxidermy). Leur objectif est de repousser les frontières artistiques de la taxidermie. Et le résultat, plus ou moins décalé selon les artistes, ne manque pas d'un certain sens de l'humour. Alors, cela peut vous sembler gentillet, mais méfiez-vous, on ne sait jamais où ils vont s'arrêter.


Tenez, par exemple. Prenez un ex-infirmier hospitalier new-yorkais. Imaginez que sa vie doit ressembler à peu près à ça et qu'il a non seulement l'ambition de réécrire le Livre de la Genèse, mais en plus le souhait de ne pas se prendre tout seul pour Dieu. Voilà Nate Hill. Et c'est donc coiffé d'un képi blanc et le noeud pap' autour du cou que ce trentenaire organise des virées didactiques dans Chinatown. Une fois par mois, suivi par une douzaine d'apôtres, Nate enseigne l'art de trifouiller dans les poubelles à la recherche des restes de cadavres exotiques. Ça pue un peu, c'est fort gluant, et c'est complètement gore, mais quel bonheur!

DISCLAIMER : I cannot prevent you from injury on this tour. Rummage at your own risk. I have never been injured when digging my hands in fish crap, but the possibility is always there. SAFETY FIRST. Beware of sharp objects. It is very important that you are very careful and move your hands slowly. Treat that box of dead fish like a lady. (recommandations à lire avant la participation au Chinatown Garbage Taxidermy Tour)




Et si vous le souhaitez, en attendant, devenez un rogue taxidermist virtuel via
http://www.beastblender.com/
Bon amusement!

La fashion-taxidermie

Passons à quelque chose d'un peu plus léger.
Bien que vous soyez probablement tous et toutes convaincus que "Suits are full of joy" (HIMYM, 2.14), il vous arrive peut-être parfois de vouloir afficher la part animale qui sommeille en vous avec décadence et sensualité. Le port du manteau de fourrure étant considéré comme, au choix, 1) old-school, 2) éthiquement impensable, ou 3) exclusivement réservé à vos virées en Sibérie orientale, je vous propose donc une alternative : un exemplaire des nouvelles chaussures-Vegas Girl (2009) de l'artiste berlinoise Iris Schierferstein. Il s'agit de sabots de vache dont l'ongle est plaqué or et le talon réalisé au moyen d'un pistolet-jouet doré également. J'imagine bien un exemplaire au pied de Cherry, la go-go danseuse amputée du Grind House : Planet Terror de Rodriguez. Et pour ceux qui veulent marcher le pied léger, Iris Schierferstein a également créé un modèle orné de colombes.

La taxidermie anthropomorphique

A citer également : la taxidermie anthropomorphique. Vous savez, un peu comme ces portraits de votre arrière-arrière-grand oncle avec une tête de chien. Ben ça, mais en trois dimensions et avec de vrais poils, puis surtout des petits vêtements par dessus, le tout mis en scène avec le plus grand soin dans un univers tiré du quotidien humain. Cette pratique, plutôt répandue à l'époque Victorienne et Edwardienne, reste cependant encore d'actualité. Ce style a été popularisé par Hermann Ploucquet, taxidermiste au Musée Royal de Stuttgart, lors de la première Exposition Universelle en 1851 à Londres.

Plus récent, et comptant parmi les artistes incontournables au même titre que Damien Hirst, nous trouvons l'italien Maurizio Cattelan. Frondeur, cabotin et adepte du scandale, cet homme maîtrise à merveille l'art de la communication et du Star System.
Son installation Bidibidobidiboo montre un écureuil venant de se suicider, penché sur la table de sa cuisine, un révolver trainant à ses pattes. Il a également réalisé La Nona Ora , effigie en cire de Jean-Paul II écrasé par une météorite... et pour montrer son mécontentement lors de la revente de celle-ci par son collectionneur, il scotcha ni plus ni moins son galeriste au mur (Massimo De Carlo) afin qu'il se vende lui-même. Ça, c'était pour la séquence "potins people".


La taxidermie humaine

Cela nous mène un cran plus loin car ici, il ne s'agit plus d'effigies en cire. Gunther von Hagens, anatomiste allemand et inventeur de la plastination, a en quelque sorte concrétisé les espoirs d'un autre médecin, Matthias Louis Mayor, auteur d' Essai sur l'anthropo-taxidermie, ou sur l'application à l'espèce humaine des principes d'empaillage paru en 1838.

La plastination permet de préserver les tissus biologiques d'un corps en remplaçant les différents liquides organiques par du silicone de caoutchouc ou de la résine époxy, puis en fixant le tout par un gaz durcisseur ou par la chaleur. Le processus de plastination d'un corps entier dure environ un an. Il a l'avantage de préserver la couleur et la forme des organes (contrairement au formol).

A propos, dans le même ordre d'idée, en 1993, un condamné à mort a cédé son corps à la science afin que celui-ci soit découpé en 1800 lamelles d'à peine un millimètre d'épaisseur. Chaque lamelle a été photographiée afin de recréer un corps virtuel en 3D qui permet de voir l'anatomie comme on ne l'avait jamais vue. C'est "l'homme transparent" (existe aussi en version "femme"). Bien qu'il soit d'une précision jusqu'à présent inégalée, une chose essentielle manquait aux apprentis chirurgiens : le toucher, la sensation de la chair. Qu'à cela ne tienne, pour recréer cette sensation tactile, les chercheurs ont fait appel à des technologies utilisées en réalité virtuelle pour mettre au point un gant fabriqué de telle façon qu'il donne à l'usager l'impression de fermer la main sur une balle ou encore de sentir de l'eau couler sur la peau. Reste après à appliquer cela à un scalpel sensitif. Mais là je m'égare, revenons à nos moutons.

La particularité des plastinations de Von Hagens est qu'elles s'inscrivent directement dans la lignée des travaux de la Renaissance, qui mêlent intimement l'art et la science. Elles sont créatrices d'ambiguïté, et cela a immédiatement soulevé de fortes polémiques tant auprès du public que des médias ou des institutions religieuses et politiques. Pour des raisons éthiques, on s'en doute, mais aussi au vu du malaise polysémique que provoque la vue de ces corps-statues de chair et d'os.
« S'agit-il d'une exposition artistique ? Scientifique ? Pédagogique ? Spectaculaire et visant au sensationnel ? Un peu comme dans les documentaires publicitaires, il y a un mélange de plusieurs fonctions qu'il faudrait au minimum expliciter ; le non-dit majeur est la prime au voyeurisme sous couvert de science et de pédagogie, qui permet le camouflage de la transgression » (avis du comité d'éthique à propos de l'expo Our Body)
La vallée dérangeante

Les corps plastinés deviennent donc des objets didactiques. Et en tant que tels, ils sont censés être regardables. Mais leur mise en scène quotidienne (baigneuse, joueur d'échec,...) leur donne une autre dimension, différente de celle de la biologie. Ces hommes et ces femmes redeviennent humain et par conséquent beaucoup trop proches de nous, mais en même temps pas assez. D'où le sentiment de malaise. "Il faut parfois s'empêcher de penser que tout ces corps étaient des êtres humains", peut-on lire dans un commentaire laissé par un visiteur de l'exposition. Le degré d'iconicité devient tellement fort qu'il nous expose de manière quasi littérale au référent lui-même et ne permet plus la distance (c'était la Petite Minute Sémiologique d'Isa).

Où finit la médecine, où commence la perversité, et où se loge l'art? Ces questions se posent tout au long de l'exposition, avec celles de la vie, de la mort et de l'éternité. Mais ces corps posent aussi la question d'où commence et où finit l'homme. Quels sont les éléments qui nous donnent l'illusion du vivant? A partir de quel moment ne considère-t-on plus un être comme humain (ou animal)?


La taxidermie et ses dérivés prête à cette confrontation, au même titre que les cyborgs, androides et autres automates. Tous posent la question de ce qui fait le vivant. Est-ce le souffle, les battements d'un coeur, la pose familière, le mouvement... On se retrouve ici au cœur de ce que l'on appelle l'effet de la vallée dérangeante. Il s'agit en gros de cette zone d'ombre qui délimite les êtres trop "vrais" pour être inoffensifs et amicaux à nos yeux, mais pas assez pour ne pas avoir l'air louche. Ceux qui se trouvent dans cet intervalle provoquent immanquablement une sensation de rejet ou de malaise. Les animaux empaillés et les cadavres plastinés sont donc condamnés à passer leur purgatoire au fin fond de la vallée dérangeante. RIP

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