Il m'arrive parfois de me lancer dans des expériences principalement destinées à ne pas mourir idiote. C'est dans cette optique que, récemment, j'ai suivi un cours de dentelle aux fuseaux (oui oui, vous avez bien lu, le truc genre Manneken Pis mais pour Bruges). Et donc, alors que je me concentrais vigoureusement pour entrecroiser tous mes bouts de fils en une trame harmonieuse, la démonstration d'un cours de math traitant des compositions de fonction m'est revenue en tête. Comme ça, sans raison. (si ce n'est que dentelle et mathématiques ont quand même comme point commun un dénommé Sierpinski que je vous laisse découvrir
ici -- si vous voulez la version d'XKCD c'est ici).
Tout cela pour vous dire que je m'intéresse aux mathématiques comme à la taxidermie : parce que je trouve cela aussi malsain que fascinant.
J'ai donc décidé de vous présenter une autre forme de bêtes à poils, le
mathematicus excentricus. Espèce
rare, au pelage discret (ou pas), mais au mœurs ô combien étranges derrière un air de ne pas y toucher.
Appelez-moi Grisha
Saint-Pétersbourg, station de métro Kouptchino. Inutile d'ouvrir votre Guide du Routard, il n'y a rien à voir dans le coin. C'est pourtant dans ce quartier construit sur d'anciens marais asséchés que vit un des plus grands mathématiciens de notre époque, terré dans un minuscule appartement qu'il partage avec sa môman.
Grigori voulait être musicien. Il a étudié les mathématiques et s'est retrouvé très tôt sur les bancs de l'université. Genre "
qu'est-ce qu'on s'emmerde à Lenningrad (
ouais, on est en 1987, Saint-Pé n'existait pas encore)
quand on a 16 ans, tiens si je rentrais à l'université histoire de passer le temps, au moins là il fait chaud". De fil en aiguille, le petit Grisha compris que les nombres étaient ses meilleurs amis et, en 2002, il publia
ceci. Vous n'y comprendrez sans doute rien voire pas grand chose. Et c'est normal. Ces 39 pages sont la résolution de la Conjecture de Poincaré, un des "7 problèmes du Prix du Millénaire". Il s'agit des problèmes mathématiques jugés les plus insolubles par le Clay Institute. Et si vous en résolvez un, vous gagnez 1 million de dollars. Rien que ça. Bon, maintenant, il n'en reste que 6, donc dépêchez vous. A vos calculettes.
Et bien, le million en question, Grisha s'en foutait un peu comme de sa seule chemise.Oui, il n'en a qu'une ou presque, comme ça son dressing tient dans une valise en carton.
(Tiens, à propos de valise en carton, il faudra que je vous présente quelqu'un d'autre). Il a donc refusé ses dollars, ainsi que la médaille Fields (équivalent du Nobel en mathématiques). Et, depuis lors, il s'est retiré dans sa maison-grotte et n'en sort que pour acheter des abricots secs, du lait fermenté et du pain noir
(comme ça vous savez tout). Et les maths? fini.
Pourquoi ai-je mis tant d'années pour résoudre la conjecture de Poincaré? J'ai appris à détecter les vides. Avec mes collègues nous étudions les mécanismes visant à combler les vides sociaux et économiques. Les vides sont partout. On peut les détecter et cela donne beaucoup de possibilités... Je sais comment diriger l'Univers. Dites-moi alors, à quoi bon courir après un million de dollars? (interview publiée par le quotidien Komsomolskaïa Pravda).
C'est vrai que vu comme ça...
La conjecture de Poincaré
En quelques mots. Juste pour que vous puissiez faire les malins après.
D'abord une conjecture (à ne pas confondre avec "conjoncture actuelle" qui est d'ailleurs un pléonasme), c'est un truc qu'on ne sait pas prouver, mais on se dit tellement que ça doit être vrai, que du coup on considère que c'est vrai. Mais c'est quand même pas prouvé. Et c'est là que ça coince, parce que du coup une conjecture, c'est un peu comme dieu, si vous voyez ce que je veux dire. Et ça, ça fait un excellent sujet pour troller. Et un matheux qui trolle, c'est vicieux, surtout quand il est en montée de caféine. Conclusion, faut se dépêcher de les résoudre avant que tout cela ne dégénère en point Godwin.
Alors la conjecture de Poincaré
(à ne pas écrire "Point carré" sinon sa mère va vous faire des yeux de pélican), en plus, elle a l'air tout con comme ça. Mais on se prend le chou avec depuis plus de 100 ans. Mais ça parle de quoi? Si je voulais la résumer genre Igor et Grishka, je vous dirais que en gros, ça explique pourquoi, dans les mangas japonais, les ballons de foot peuvent ressembler à des ballons de rugby quand on les lance très très très fort. Par contre, ils ne peuvent JAMAIS ressembler à des donuts. Pourquoi? Parce que dans les donuts, y a un trou au milieu. Voilà. Si si, je vous assure. (pour ceux qui veulent une explication genre Jamy, allez voir
ici).
Et pour ceux qui parlent en langue, ça se traduit comme ceci : "Soit une variété compacte V simplement connexe, à 3 dimensions, sans bord. Alors V est homéomorphe à une hypersphère de dimension 3". Comme ça vous savez.